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Comment faire rire un paranoïaque
Bien avant que ne paraisse le fameux Livre noir de la psychanalyse, de nombreux intellectuels français avaient depuis longtemps interrogé le freudisme. C’est le cas de François Roustang avec Comment faire rire un paranoïaque, éd. Odile Jacob, paru en 2000.
Ce n’est pas la première fois que F. Roustang commet le crime de lèse freudisme, c’est une récidive, il avait déjà publié en 1976 Un destin si funeste et en 1980 Elle ne le lâche plus, (éd. de Minuit.) Et d’autres encore...
Comment faire rire... est une suite de conférences, de cours ou de leçons. Toutes ont un thème de réflexion centré sur la psychanalyse : son efficacité, son impossibilité, son incertitude, la non définition de ses concepts, de son vocabulaire.
Son article sur l’épistémologie de la psychanalyse devance de mille lieux les piètres tentatives des freud scholars mis en avant dans Le livre noir et les balbutiements d’Adolf Grümbaum dans son ouvrage Les Fondements de la psychanalyse
La critique de Roustang s’étaye avec des arguments simples, compréhensibles par tous, l’assise est impeccable, le mur sera droit, la maison solide.
Il faut dire que F. Roustang, lui-même ex-psychanalyste de l’Ecole freudienne a eu un parcours des plus singuliers et sait de quoi il parle. Il fut directeur de revues, Ex-jésuite, ex-psychanalyste, aujourd’hui hypnothérapeute.
Comment faire rire... est à lire absolument par ceux qui recherchent une critique intelligente de la psychanalyse.
Lacan
De l’équivoque à l’impasse
C’est à un travail de dominicain que se livre l’ex-jésuite François Roustang, dans cet ouvrage court, mais particulièrement riche qui a pour titre : « Lacan, de l’équivoque à l’impasse, éd. De minuit » C’est toujours avec plaisir qu’on retrouve la plume de F. Roustang, mais si dans ses premiers ouvrages l’écriture contenait du « witz » ce n’est plus le cas...
Avec un sujet aussi sérieux, n’importe quel auteur en aurait profité pour en coller 400 ou 500 pages, mais F. Roustang est austère et dépouillé comme une église cistercienne et il joue ici à l’économie de formules et de décorum (118 pages) en évitant les redites et les pages inutiles, manie répandue chez beaucoup d’essayistes. L’écriture est dense et ne permet pas la moindre distraction au risque de perdre le fil.
Si l’ouvrage est sérieux dans le fond, la mise en forme laisse parfois un arrière goût de bâclage, des guillemets mal placés ou trop rares, le manque d’italiques lors de citations d’un autre ouvrage ajoute à la difficulté de lecture. L’auteur cite toutes ses sources en donnant des références très précises, la page des œuvres citées est toujours indiquée.
Bien évidemment, en 118 pages F. Roustang ne pouvait s’attaquer à l’œuvre entière de Jacques Lacan, mais il parvient tout de même à poser un doute sérieux pour le lecteur sur l’ensemble des théories lacaniennes. C’est la raison pour laquelle il sélectionne une dizaine d’ouvrages de Lacan et s’attaque à quelques concepts majeurs de la théorie du Maître, particulièrement « l’inconscient structuré comme un langage » et le Réel de la trilogie RSI (Réel, Imaginaire et Symbolique).
Un des principaux reproches que fait F. Roustang à Lacan, est le manque de définitions claires de ses concepts, manque de définitions qui oblige à une fuite à l’avant pour se sortir des difficultés qu’entraîne toute nouvelle proposition. Ce manque de définitions claires fait, par bonheur ou par malheur, que chacun peut s’approprier les concepts en les contorsionnant à son goût. Il faut reprendre ici la très belle formule de J-D Nasio qui se réclame « lacanmien » c'est-à-dire, ce qu’il a compris et intégré à sa façon l’œuvre de Lacan, comme tout un chacun. Le titre de l’ouvrage est tout de même assez sévère car on se demande s’il peut exister autre chose qu’une équivoque pour parler de cette chose ineffable qu’est l’inconscient. Mais il est vrai que les exposés lacaniens se veulent rigoureux tout en restant évasifs. Quant à l’impasse, même si l’école qu’avait fondée Lacan s’est éclatée en dizaines de structures après sa mort on peut tout aussi bien dire que c’est une richesse productive et que plusieurs directions ont vu le jour au carrefour de la mort du Maître. Ce qui n’exclut en rien l’impasse théorique bien réelle que F. Roustang se plaît à décortiquer.
Les contradictions qui fondent le soubassement de la doctrine lacanienne sont exposées au grand jour dans l’ouvrage. Certes, comme il a été souvent répété, la psychanalyse est une praxis, elle se transmet et ne s’enseigne pas, même si une courte expérience d’enseignement fut tentée en Hongrie en 1919. Mais, Lacan n’inventa-t-il pas les mathèmes en psychanalyse ? Ce qui veut dire que ce savoir est objectivé, il devient de fait transmissible. Les structures qui ont survécues à son École délivrent aujourd’hui des Masters de psychanalyse dont les cursus se suivent à l’Université dans des départements de psychanalyse ? Cet enseignement durable vit le jour du vivant de Lacan : en 1969 fut fondé à l’Université de Paris VIII un département de psychanalyse sous l’autorité de l’École Freudienne de Paris. Ce qui est tout de même curieux quand on met cet enseignement universitaire de la psychanalyse en regard des célèbres quatre discours de Lacan, qui opposait le discours de l’analyste à celui de l’universitaire, faisant peu cas de ce dernier. Certains lacaniens prêchant d’ailleurs à cette époque la mort de l’Université.
On a assez souvent l’impression, dans l’ouvrage, de se trouver devant une antithèse des propos de Lacan, et bien naturellement, il manque à tout ceci une synthèse qu’il faut fabriquer soi-même avec la plus grande difficulté, sans toujours y parvenir, tant l’antithèse de l’auteur est consistante.
À propos de « l’Inconscient structuré comme un langage » F. Roustang note ceci :
« Puisque la méthode psychanalytique n’utilise que le langage et que cette méthode permet d’atteindre l’inconscient, cet inconscient est structuré comme un langage, il est langage (Le Séminaire, Livre III, page 20.) Il est langage (Ecrits, page 866.) C’est un sophisme parce que l’on confond l’instrument de la recherche et l’objet de la recherche. » [...] La psychanalyse a pour instrument le langage et la psychanalyse n’a pas d’autre instrument que le langage. Cette affirmation sans cesse répétée par Lacan est tout simplement fausse, puisque le transfert tient en psychanalyse une large place et qu’il est, malgré les tentatives faites en ce sens, irréductible au langage ou au savoir. » ( P. 61)
On ne peut qu’être en accord avec F. Roustang, effectivement le transfert est plus qu'un échange de paroles analysables et sécables, il est un phénomène qui inclut aussi la parole mais qui n'est pas que paroles. Ou encore :
« ...l’inconscient est structuré comme un langage. Autant dire : puisque nous ne pouvons connaître certains caractères des objets que par les yeux, ils sont structurés comme les yeux. » (P.109.)
Un autre concept lacanien auquel s’attaque F. Roustang est celui du Réel de la trilogie borroméenne : Réel Imaginaire Symbolique. Le Réel fut introduit pour la première fois par Lacan en 1953. Il lui fut inspiré par un ouvrage de Meyerson et subit quelques variations importantes avant d’occuper sa place définitive, c'est-à-dire aucune, puisque selon le mot, même de Lacan le Réel n’existe pas. Dans le lacanisme, le Réel, constituerait tout ce qui n’a pas été symbolisé ou qui est impossible à symboliser. À partir de là s’ouvre une multitude de réflexions et de concepts que chacun agrémentera à sa guise. Le psychotique ne symbolise pas le signifiant du Nom-du-Père, ce signifiant est forclos et fait retour dans le Réel par le biais de l’hallucination. En résumé, dans un premier temps, seul le fou accède au réel par sa folie. Mais tout ce qui est impossible à symboliser ne sera pas forclos. F. Roustang repère très bien l’impasse de ce concept majeur :
« Le réel était produit par le psychotique par son impuissance à symboliser ; désormais le réel deviendra ce qui résiste à la symbolisation. Evidemment les deux réels en question n’ont plus rien à voir entre eux, puisque le réel du psychotique est une création qui mime le symbolique, alors que le nouveau réel proposé pour expliquer quelque chose du névrosé ou de l’être humain en général est un obstacle, une limite infranchissable, une butée. » (P.78.)
Plus qu’un obstacle, on peut lire ici un rajout : le rajout du réel du névrosé sur le réel du psychotique, une invitation à le prolonger et à le développer. En admettant que deux réels puissent exister -ce qui est déjà un non sens- qu’advient-il du nœud borroméen ? Car on ne peut inventer un nouveau réel et l’accoler ou le faire coexister au réel du célèbre nœud !
Au reste les choses sont beaucoup plus compliquées que cela, puisque, selon le mot même de Lacan : le réel n’existe pas ! Ce réel est pourtant bien inséré dans le nœud qui illustre la structure du sujet. Puisqu’il n’existe pas, comment l’ôter de cette représentation et faire en sorte que les deux autres fonctions tiennent sans lui ? L’enlever c’est le désinsérerdes deux autres cercles, et si on enlève un seul élément tout s’effondre. Ce nœud borroméen est en fait le nœud gordien de la psychanalyse qui attend toujours son Alexandre...
Une autre cible de F. Roustang est le peu de place laissé par Lacan à la pulsion :
« Au cours de ses Séminaires, la notion de pulsion est plusieurs fois introduite, en vue de développements ultérieurs. La pulsion est en effet un obstacle majeur à la doctrine lacanienne.
On sait que Freud en a fait le fond de l’inconscient et que, pour lui, c’est une force ou une charge énergétique qui a « sa source dans une excitation corporelle ». Mais Lacan ne veut pas entendre parler de force ou d’énergie, il va donc devoir proposer une autre interprétation. » (P. 79.)
On pourrait s’inscrire en faux contre les propos de F. Roustang en arguant que justement Lacan a souvent parlé de pulsion scopique ou de pulsion sadomasochiste et n’hésitait pas, contrairement à Freud, à nommer les pulsions. Mais ce serait couper la parole un peu tôt à l’auteur :
« La dernière opération à effectuer est la réduction de la pulsion à l’objet a. Il a été affirmé plus haut que la pulsion rencontre l’impossible de la satisfaction. Donc puisque « la pulsion saisissant son objet apprend en quelque sorte que ce n’est justement pas par là qu’elle est satisfaite », puisque « aucun objet ne peut satisfaire la pulsion », puisque « l’objet de la pulsion est indifférent », cela nous conduit à donner à l’objet a « sa place dans la satisfaction de la pulsion ». Cet objet définitivement perdu pourrait être dit l’objet de la pulsion, mais alors la pulsion s’y perdrait. Or, comme elle est une force constante, on dira qu’elle tend vers cet objet en l’évitant sans cesse, donc qu’elle « en fait le tour ». C’est ce qu’exposera longuement la leçon suivante du Séminaire : la pulsion est un montage dont le but n’est point autre chose que ce retour en circuit ; elle n’aura pas d’autre fonction que de contourner l’objet éternellement manquant. (Le Séminaire Livre XI) » (P.86.)
Ce contournement de la pulsion est présentée par certains enseignants comme la théorie de l’ouvre bouteille. C’est elle qui est ici mise à mal. La pulsion contourne l’objet petit a sans jamais parvenir à l’atteindre. Peut-être serait-il bon de redéfinir la pulsion et d’aller chercher sa définition à la source :
"Si, en nous plaçant d'un point de vue biologique, nous considérons maintenant la vie psychique, le concept de "pulsion" nous apparaît comme un concept-limite entre le psychique et le somatique, comme le représentant psychique des excitations, issues de l'intérieur du corps et parvenant au psychisme, comme une mesure de l'exigence de travail qui est imposé au psychique en conséquence de sa liaison au corporel."
(S. Freud, Pulsions et destins des pulsions, in Métapsychologie, éd. Gallimard)
Si on se limite aux données freudiennes en utilisant un langage biologique, l’état de stase est induit par le travail de la pulsion. L’ex-stase est l’état qui suit la satisfaction de cette dernière. L’exemple de la pulsion de faim qui trouve sa satisfaction est la meilleure réplique qui puisse être faite à Lacan. Car on peut se demander par quel processus psychique la pulsion sexuelle viserait à ne pas atteindre un objet imaginaire alors que la pulsion de faim a un objet réel (la nourriture.) Il est également à noter que si la pulsion sexuelle n’atteint pas son but à cause de diverses impossibilités, la masturbation si elle est possible, apportera également stase et ex-stase. Certes, pour se sortir de l’impasse, il suffit d’introduire un distinguo entre le désir et la fonction sexuelle proprement dite, ce que fit Jacques Lacan :
« Parmi les successeurs de Freud, seul Jacques Lacan a conceptualisé la notion de désir en psychanalyse à partir de la tradition philosophique pour en faire l’expression d’une convoitise ou d’un appétit qui tendent à se satisfaire dans l’absolu... »
(E. Roudinesco et M. Plon, article « désir » du Dictionnaire de la psychanalyse éd. Fayard)
Lacan a donc fait perdre au désir son essence sexuelle en le recouvrant d’une teinte philosophique. Alors que pour Freud, les signes du désir « Ont toujours, un caractère sexuel, puisque le désir a toujours la sexualité pour enjeu.» (Ibid.) Le désir en version lacanienne est insaisissable, non identifiable, puisque, comme le note Roustang « aucun objet ne peut satisfaire la pulsion ». Cette dernière n’a plus grand-chose à voir avec les poussées de la libido freudienne.
Seulement voilà, Freud nous a montré que l’origine des troubles psychiques avait souvent, pour ne pas dire toujours, un lien proche ou lointain avec la sexualité. Certes, Lacan ne nie pas que les pulsions existent, qu’elles sont dédiées à des zones. Mais, en insistant sur le fait qu’elles n’atteignent jamais leur but, il a, tout comme Jung avant lui, désexualisée la libido freudienne. Il y a là une impossibilité de considérer la psychanalyse de Lacan comme une suite à la psychanalyse freudienne, elles sont antinomiques et les tentatives de tricotage explicitant que Lacan est allé plus loin que Freud dans la notion de désir ne sont justement que du tricotage !
Si, comme le dit Lacan en reprenant la formule de Kojève, « Le désir de l’homme c’est le désir de l’autre » comment peut-on interpréter le viol ? Où se situe le désir de l’autre dans le viol ? Par ailleurs, si le rapport sexuel qui, selon Lacan n’existe pas, découle du désir de l’autre, l’échange sexuel ne devrait être possible que lorsqu’il y a mutualisation du désir. Or, ce n’est manifestement pas le cas pour tout le monde, l’envie de faire l’amour existe chez pas mal de gens. Les prostituées, si cela peut arriver, n’ont pas toujours le désir de leurs clients. L’érection et l’excitation ne sont donc pas soumises à la condition du désir de l’autre. La psychanalyse que propose Jacques Lacan est une psychanalyse métaphysique, intellectuelle, elle est un regard sur soi qui n’est jamais saisi que dans le jeu de miroirs de la théorie, une entrée dans un labyrinthe de concepts indéchiffrables dans lequel se reconnaît un jour le Sujet, mais ou l’être n’advient jamais. Certes, cette psychanalyse n’est pas à rejeter, il est tout à fait possible que certains individus fonctionnent selon les schémas qu’a établis Jacques Lacan, pas tous.
Cet outil qu’est l’objet petit a, qualifié de reste, rebut, chute, a été largement défini et existe bel et bien, son utilité théorique est incontestable. Il a beaucoup de chose à voir avec la pulsion, de là à dire que cette dernière n’a pas d’objet et le contourne systématiquement il y a un monde. Cet objet a n’a pas encore fini de faire parler de lui.