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Remarques critiques sur
Enseignement de 7 concepts cruciaux de la psychanalyse
de
Juan-Dominique Nasio

 

Il y a à boire et à manger dans "Enseignement de 7 concepts cruciaux de la psychanalyse" par Juan-Dominique Nasio, éd Payot.

Le premier concept expliqué est celui de la castration, et là, il faut se tenir. Non pas parce que des scènes chocs et sanglantes y sont décrites, mais parce que l'auteur nous assène avec une assurance de vendeur de voitures la vulgate freudienne mille fois rabâchée :

"Freud découvre, à l'occasion de son travail avec un enfant de cinq ans, le "petit Hans", ce qu'il appellera le complexe de castration. " (Page 18).

Or Freud ne rencontra le garçonnet qu'une seule fois et n'a donc pas "travaillé" avec le petit Hans. De plus, que dit Freud de cette "découverte" sur ce cas ? Ecoutons-le parler de "l'analyse" du petit Hans :

"Elle ne m'a à strictement parlé, rien appris de nouveau, rien que je n'aie été déjà à même de deviner" (Le petit Hans, Cinq psychanalyses p.197.)

Que l'on puisse écrire encore, ainsi que le fait Nasio, sur ce fameux complexe de castration au début du XXIiéme siècle défie la logique et le bons sens, même si c'est fréquent en psychanalyse :

"La petite fille remarque le grand pénis bien visible d'un frère ou d'un camarade de jeu. Elle le reconnaît immédiatement comme la réplique supérieure de son petit organe caché [clitoris] et dès lors elle est victime de l'envie du pénis." (Enseignement de 7 concepts...)
P. 27

C'est un axiome psychanalytique que les petites filles connaissent leurs organes "cachés", ce qui est déjà un paradoxe. Quand on sait que beaucoup de femmes ne découvrent leur clitoris que très tardivement. (cf. Elena Gianini Belotti, Du côté des petites filles, éd. Des femmes). Mais si cela est avancé on nous répliquera superbement que c'est là un effet du refoulement....des petites filles. Tout comme la négation du complexe de castration est un refoulement de celui qui ose mettre son existence en doute.
L'auteur nous gratifie d'un tableau sur la castration chez la fille et chez le garçon (P.32/33) On y découvre que dans le tempo deux du complexe "le pénis est menacé verbalement par le père". Il n'est rien dit si le père est muet, nous renvoyons le lecteur au langage des signes. Ca ne doit pas être bien difficile...
En ce qui concerne cette première leçon, c'est la soupe habituelle du catéchisme freudien qui nous est servie.

Le deuxième concept enseigné est celui du phallus. Freud n'utilisa le terme de "phallus" qu'en de rares occasions. Lacan fera du phallus un signifiant. L'auteur fait bien la différence et sa leçon est assez plaisante à lire.

Le troisième concept, celui de narcissisme est assez bien développé. Les tableaux sont suffisamment explicatifs, une petite réussite dans le genre.

La leçon quatre traite de la sublimation. Concept des plus difficiles à expliquer, et pour cause : la sublimation fut une des nombreuses inventions freudiennes pour faire passer le "tout sexuel". On y apprend donc que :

"Ainsi la sublimation de la pulsion voyeuriste consiste dans le passage d'une satisfaction érotique et partielle, attachée à un objet érotique local (les organes génitaux féminins), à une autre satisfaction non sexuelle mais tout aussi partielle, attachée à un objet plus global et désexualisé (le corps tout entier comme connaissance scientifique)."

A ce compte là, la physique, l'électricité et l'étude des composants électroniques ne sont que la sublimation de l'envie de construire des godemichés ultra-performants. Bref, comme tout est sexuel, tout ce qui ne l'est pas découle de la sublimation. L'auteur rappelle le petit Hans :

"Tandis qu'une autre partie de l'énergie libidinale, celle qui a échappé à la tentative de refoulement, sera sublimée sous la forme d'un intérêt très vif de l'enfant pour un objet non sexuel et global : la musique". P.137

Notons au passage que le père de Hans était un musicologue réputé et que son parrain était... Gustav Mahler.
Mais il est peu probable, et en tous cas il n'en est pas parlé dans "le cas relaté du petit Hans", que ce dernier ait eu déjà du goût pour la musique, même s'il est devenu un grand metteur en scène d'opéras. Nasio poursuit :

"Ce nouvel investissement libidinal, porté sur les sons et l'harmonie musicale, engage un long processus de sublimation qui se poursuivra jusqu'à l'âge adulte lorsque Hans sera devenu un excellent musicien."

Et s'il avait opté pour la chirurgie, la raison aurait été également à chercher dans ses tripatouillages. L'auteur se défend comme il peut à vouloir illustrer ce concept de sublimation, que Freud laissa plus ou moins en panne et sur lequel Lacan parla très peu. Peu de psychanalystes ont d'ailleurs développé le sujet.
Vouloir élaborer une théorie de la sublimation ou défendre le peu qu'il en existe peut se comparer à essayer de faire tenir l'Empire Stade Building sur des fondations en carton mâché. Ce concept de la sublimation ne peut pas se définir en dehors de la psychologie de supermarché et de la philosophie à quatre sous : on ne fait pas la loi au désir.

Le cinquième concept développé par l'auteur est celui d'identification. Nous laisserons de côté l'identification elle-même pour saluer le génie de vulgarisation de J-D Nasio. A la question "Qu'est-ce qu'un signifiant ?" Lacan répondait que "Le signifiant est ce qui représente le sujet pour un autre signifiant." Ce qui n'est pas forcément clair pour tout le monde, surtout au début de la lecture de Lacan. Il faut parfois plusieurs années pour bien intégrer ce concept de signifiant. Et là, en quelques lignes, de la page 183 à 189 Nasio expose avec une limpidité fulgurante la notion de signifiant ! C'est clair, concis et cristallin comme de l'eau de source. Ne serait-ce que pour ces passages, l'ouvrage vaut la peine d'être lu.

Le concept traité en sixième partie est le concept de sur-moi. La difficulté n'était pas des moindres, vu que le sur-moi serait en réalité plutôt une topique, une instance freudienne, plutôt qu'un concept. C'est raté de chez Raté, nous assistons à un bel amalgame entre le sur-moi, l'idéal du moi et le moi idéal. Mais ce n'est pas forcément la faute de l'auteur. Mettons simplement que Freud lui-même n'a jamais été très clair sur les instances qu'il a proposées et que la refonte de la dernière topique n'a pas vraiment arrangé les choses. A la fin de chaque chapitre, Nasio cite des extraits d'ouvrage censés mieux faire comprendre au lecteur les concepts qu'il essaie d'expliquer. On ne pouvait mieux illustrer la confusion en essayant d'éclaircir les choses :

"Nous apprenons dans nos analyses qu'il y a des personnes chez qui l'autocritique et la conscience morale [surmoi] sont inconscientes et produisent, en tant qu'inconscientes les effets les plus importants" Freud 1923.
"La conscience, fonction que nous attribuons au surmoi parmi d'autres, consiste à surveiller les actes et les intentions du moi et à exercer une activité de censure." Freud 1930.
En 1923 la "conscience morale" est inconsciente, en 1930 elle est consciente....

Le septième concept, enfin, le plus difficile à vulgariser est celui de forclusion. La tentative, à elle seule mérite d'être applaudie. Nasio s'en sort plutôt bien pour l'explication de ce concept dont l'historique est plutôt mouvementé.
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***

Un psychanalyste sur le divan

 

Il y a manifestement tromperie sur la marchandise avec "Un psychanalyste sur le divan" de J.D. Nasio, éd. Payot.
Avec un pareil titre le lecteur est en droit de s'attendre à ce que l'auteur raconte son parcours d'analyste ou du moins ce qui l'y a conduit. Nenni point. Mais, pour compenser cette frustration, en première de couverture une photo où l'auteur prend la pose avec un air "intelligent" et "compréhensif".
La photo ne trompe pas : ce n'est pas un homme qui s'interroge sur l'Inconscient, mais un sujet qui sait, prêt à donner son savoir au "patient". Le livre est construit sous forme de questions/réponses -généralement stupides- du type : "Comment définir l'amitié ?" et le psychanalyste nous donne son avis sur presque tout...
On pensait lire un "lacanien" et on batifole dans les pages psychologie d'un magazine féminin ou la platitude cède parfois sa place à la "poubellisation" de la psychanalyse comme l'appelait Lacan.
En ce qui concerne la lucidité de l'auteur sur les fondateurs de la psychanalyse nous sommes vite édifiés : l'idolâtrie tient lieu de connaissance :

"Freud et Lacan sont à proprement parler des hommes de foi, car pour frayer leur chemin, il leur a fallu un élan que seul le désir de se surpasser peut insuffler. Mais entendons-nous bien, la réussite n'a jamais été leur dessein..." Page 186.

Un peu de biographie ne fait de mal à personne, certes il y a eu un Lacan totalement désintéressé, Jean-François, qui rentra dans les Ordres, mais son frère, Jacques-Marie, le psychanalyste, était loin de cracher sur la "réussite". Quant à Freud, même ses hagiographes reconnaissent son ambition quasi paranoïaque.

L'auteur s'essaie à la vulgarisation des concepts lacaniens, ce qu'il avait très bien réussi dans un ouvrage précédent (Cinq leçons sur la théorie de Jacques Lacan, éd. Payot). Ici par contre la simplification a un goût de simplisme et J.D Nasio ne parvient pas du tout à faire comprendre aux lecteurs potentiels ce qu'est vraiment l'objet petit a. A la fin de son numéro de contorsionniste de l'inconscient c'est le "charme" de l'être aimé qui fini par être l'objet petit a !

En guise de "psychanalyste sur le divan", on y apprend tout de même, à la fin de l'ouvrage, que l'auteur est le fils d'un gastro-entérologue argentin qui emmenait sa progéniture assister à ses consultations hospitalières à l'âge de douze ans dont des œsophagoscopies -intubations pénibles- et l'auteur réconfortait déjà les malades, d'où sa vocation de psychanalyste !
On pourrait dans une interprétation cavalière constater que ce que les patients du père avalaient, les patients du fils le ressortent par la parole, la bouche est libérée ! Le fils devint donc médecin puis psychiatre et psychanalyste et rencontra Lacan sans devenir son "patient". Car Nasio ne parle pas d'analystes ou d'analysants, mais de "patients", terme médical pour une analyse médicalisée.
Nasio, se fait interroger sur ses "recherches" en psychanalyse :

" -Et sur quoi portent actuellement vos propres recherches ?
-Je tiens tout spécialement à une proposition avancée en 1978, mais qui reste toujours ouverte au débat, celle d'un inconscient événementiel, produit et unique. Qu'est-ce que ça signifie ? D'abord, que l'inconscient n'existe pas à tout instant ; il n'apparaît qu'à des moments privilégiés, des moments de la cure.... "
P.175.

On se demande bien ce qu'est la "recherche" en psychanalyse, mais enfin tous les analystes doivent être "en recherche", puisque l'inconscient, comme le disait Lacan, effectivement, s'ouvre parfois comme une nase et que des fois, "y'a'd'ça !"
L'auteur n'est pas que psychanalyste : il "soigne" des couples et des enfants qu'il prend en analyse, de la doltomania à la petite semaine :

" -Toujours à propos des enfants. Pour quels problèmes vous consulte-t-on généralement ?
-C'est très variable [... ] les retards scolaires, les phobies, les troubles du sommeil et de l'alimentation, l'énurésie ainsi que les comportements agressifs et colériques."

On ne peut que faire le rapprochement avec Clavreul pour en mesurer l'éloignement :

"Il est devenu banal de penser qu'il faut conduire l'enfant chez le psychologue ou le psychanalyste lorsqu'il fait pipi au lit, lorsqu'il fait des colères, ou s'il n'est pas gentil avec sa petite sœur."
Clavreul

JD Nasio fait suivre une "vignette" où un gosse était battu par ses copains, il fallait le changer d'école, mais il a pris le gamin en "analyse" pendant six mois ! La cure se termina lors d'un dessin révélateur....
Tout n'est pourtant pas à jeter dans ce petit opuscule écrit à la va-vite, à la page 108 et suivantes, l'auteur parle avec intelligence de la pulsion de mort. A réserver aux amateurs et aux inconditionnels.
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