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Remarques sur

L'homme qui marche sous la pluie
"Un psychanalyste avec Lacan"
de
Jean Clavreul

C'est sur le mode de la causerie que Jean Clavreul invite à une promenade psychanalytique (Jean Clavreul, L’Homme qui marche sous la pluie, éd. Odile Jacob). L’ouvrage porte en sous-titre "Un psychanalyste avec Lacan". Le livre n'est pas construit d’une manière ordinaire, chapitre par chapitre, il n'y a pas de construction : c'est une longue conversation intime et pédagogique.
Pédagogique cet ouvrage l'est assurément. Intime également, car le plaisir que l'on prend à la lecture est celui d'une lettre qu'on attendait sans le savoir. Une lettre envoyée par un ami qui n'a jamais été très bavard et qui, d'un coup, vous livre enfin son opinion sur un sujet commun et qui vous tient à cœur. Une longue lettre qu'on lit avec attention, regrettant à chaque page lue le plaisir qu'on en perd. Jean Clavreul fut peu prolixe en écriture et c’est regrettable. Comment un homme qui a tant de choses à dire sur la psychanalyse a-t-il pu publier si peu sur le sujet ?

Jean Clavreul fut un des principaux "lieutenants" de Lacan. Il restera fidèle au rénovateur de la psychanalyse jusqu'à la disparition de celui-ci en 1981. Après la dissolution de l'Ecole Freudienne de Paris (1980) à laquelle il contribua durant toute sa durée, Jean Clavreul participa à la création du CERF (Centre d'Etudes et de Recherches Freudiennes) puis à la Convention Psychanalytique en 1983. Il s'éloignera de la Convention en 1989. Jean Clavreul est décédé en octobre 2006.
C'est donc un témoin privilégié, un acteur majeur du mouvement psychanalytique et un grand psychanalyste qui nous parle de l'histoire de la psychanalyse, de sa théorie, de son éthique.

Clavreul, tout comme Lacan, s'aperçût très tôt de la dérive que prenait la psychanalyse placée sous la coupe de l'IPA (International Psychoanalytical Association). Le rejet de l'ego psychologie américaine, inscrite dans la deuxième topique freudienne était pour lui une nécessité vitale pour tirer la psychanalyse du bourbier normatif dans lequel elle s'inscrivait. Mais Clavreul bien que psychanalyste militant reste pessimiste en ce qui concerne l'avenir de la psychanalyse française :

"La psychanalyse américaine a, certes, envahi toute la société, mais s'est en pratique perdue dans sa
« réussite » médiatique au point de ne plus savoir ce qu'elle est. Je pense que l'évolution générale de la psychanalyse en France va dans le même sens et aboutira au même résultat, celui que j'ai appelé la "banalisation". C'est-à-dire la diffusion d'une vulgate de la théorie freudienne, facilement accessible au grand public et servant de panache pour ceux qui prétendent assurer la pérennité du mouvement dans les institutions officielles où la psychanalyse a acquis un droit d'entrée.
"


Effectivement cette dérive, cette banalisation est entamée depuis plus de trente ans, lorsque des psychanalystes quittèrent la catéchèse du jeudi pour porter la bonne parole sur les ondes radio et se transformer en conseiller-éducateur capable d'établir un diagnostic en deux minutes et d'apporter la solution aux problèmes éducatifs. Cette première a fait tâche d'huile si bien qu'aujourd'hui, la présence de psychanalystes à la télé ou à la radio est devenue monnaie courante, cette médiatisation de la psychanalyse est en fait la banalisation à laquelle Clavreul fait allusion reprenant à son compte le mot de Lacan concernant la "poubellisation" de la psychanalyse, comme il l'écrit :

"Il est devenu banal de penser qu'il faut conduire l'enfant chez le psychologue ou le psychanalyste lorsqu'il fait pipi au lit, lorsqu'il fait des colères, ou s'il n'est pas gentil avec sa petite sœur. On peut s'attendre à coup sûr, que la demande des parents sera accueillie par un discours bien-pensant expliquant la nécessité d'intégrer l'enfant dans la loi...[...] À cet égard, toute une dérive s'est constituée à partir du travail qui a été effectué notamment par des psychanalystes d'enfants venant au secours des systèmes institutionnels actuels. [...] Quand les psychanalystes se prétendent ou se veulent éducateurs, c'est une mascarade : ils empruntent des costumes qui ne leur vont pas. C'est le même problème pour le médecin qui "fait de la psychanalyse" à la petite semaine..."

Dans son ouvrage, Clavreul ne se contente pas d'un résumé historique général, il nous emmène dans les méandres de l'Ecole Freudienne dont il fut secrétaire du Directoire pendant de longues années, il revient sur le phénomène de la "passe" dans la formation du psychanalyste, sur le fameux "désir" du psychanalyste, il en parle longuement, allant plus loin qu'une simple interrogation sur la psychanalyse en institution, il rentre dans certains détails jusqu'alors ignorés d'un large public :

"Le jury d'agrément n'était nullement prêt à accueillir chaleureusement ni Françoise Dolto, ni Octave Mannoni, encore moins Maud Mannoni, ni tous ceux qui, dans l'Ecole freudienne, fonctionnaient d'une manière que cette nouvelle équipe considérait comme inacceptable."

L'institutionnalisation de la psychanalyse, sa pénétration dans les institutions de soins et sa médiatisation ne pouvaient que susciter auprès des pouvoirs publics une tentative de légiférer ce qui, par essence ne peut pas l'être. Clavreul reprend la fameuse phrase de Lacan "l'analyste ne s'autorise que de lui-même" pour l'actualiser et la mettre, avec raison, au goût du jour de l'amendement Accoyer :

"Là sans doute prend toute sa portée l'énoncé de Lacan : "le psychanalyste ne s'autorise que de lui-même" cela signifie qu'il ne s'autorise d'aucune institution mais aussi d'aucun maître. "[....] " On ne pourra donc que s'esclaffer en voyant un psychanalyste se réclamant de Lacan, remercier chaleureusement un Ministre de la santé qui voudrait donner un "statut" aux psychanalystes."

C'est ainsi que tout au long de cette promenade pédagogique et historique, Jean Clavreul nous invite à la réflexion sur l'histoire du mouvement psychanalytique, mais aussi sur sa théorie et également, bien qu'une définition reste improbable, sur ce que sont l'analyse et l'analyste. Chose indéfinissable, incomplète que la théorie analytique, et seule une pensée mûrement réfléchie par des années de pratique pouvait aborder la "théorie" en parlant avec simplicité de ce qui est le versant le plus complexe de la psychanalyse :

"Au cours de ce siècle, Freud d'abord, Lacan ensuite, ne s'en sont jamais tenus à leurs premières formulations théoriques. En même temps, ils ne les ont jamais récusées."

Cette conservation des premières formulations jamais récusées a permis aux adversaires de la psychanalyse de l'attaquer de toutes parts, souvent avec raison, parfois avec une malhonnêteté évidente. Cette non-récusation des concepts erronés a également fait de la psychanalyse un maelström théorique dans lequel il est impossible de tenir la barre et où toute navigation est impossible. Car il y a bien une faille majeure dans la causalité de la théorie freudienne et elle n'échappe pas à quiconque est un peu averti :

"Les psychanalystes, et Freud le premier, ont été incités à rechercher quel événement traumatique ou quelle constellation familiale étaient à l'origine de cette "réminiscence" qui incluait à la fois un savoir acquis et son refoulement, mais sans que le savoir ait pu accéder au niveau du souvenir, qui est un savoir conscient et historisé. En cela, Freud et ses disciples ont suivi le dogme résolument causaliste qui était en vigueur au début de ce siècle."

Cette théorie de la causalité, associée à toutes les autres failles théoriques et aux stupidités délirantes de certains analystes font de la psychanalyse une licorne rose dans le bestiaire des psychologies humanistes. Cette théorie de la causalité  ne pouvait que persister après la deuxième topique freudienne et réussit à encombrer la psychanalyse tout en offrant, une fois de plus, le flanc à la critique. Cette deuxième topique ne fut jamais prise en compte par Lacan et les analystes se réclamant de sa pensée :

"Lacan a pu se déclarer freudien alors qu'il ne s'est jamais servi de la deuxième topique freudienne à quoi se rattachaient, comme à un fétiche, un certain nombre de postfreudiens." [...] "Pour Lacan, l'essentiel de ce qu'apportait cette deuxième topique est un surmoi obscène tout autant que féroce. C'est parce qu'il refusait une telle réduction de l'enseignement freudien que Lacan s'est abstenu délibérément de recourir à la seconde topique en disant clairement que l'essentiel de l'apport freudien y avait été complètement rendu inutilisable par l'usage qu'en avait fait ceux qui se réclamaient de Freud."

À partir de là, la coupure théorique est achevée. La psychanalyse freudienne connaîtra un schisme entre les tenants de la deuxième topique et les lacaniens qui se réclament de l'héritage freudien. La rupture idéologique deviendra visible dans la pratique, dans le but et dans l'enseignement de la psychanalyse :

"Mais ce qui est remarquable, c'est que chaque psychanalyste enseignait et croyait fermement, cette adhésion persiste, qu'une des fonctions de la psychanalyse était de mettre en échec les atrocités liées à un surmoi toujours trop exigent, trop dur. Dans les années 1950, le jeune psychanalyste apprenait qu'il fallait se débarrasser de son surmoi si encombrant et si persécuteur pour chacun de nous"

Le "savoir" analytique est donc divisé, et cette division n'est pas un simple point de détail théorique. C'est une véritable rupture épistémologique, une fracture qui se crée à l'intérieur du discours psychanalytique : la théorie est éclatée. Cela ne compromet pas forcément la cure ou la pratique : le savoir du psychanalyste a toujours été un savoir nébuleux. Tout comme celui du psychiatre, le savoir du psychanalyste n'existe que par la pensée de l'analysant ou du malade. C'est un savoir douteux :

"Tout autant que le psychiatre, le psychanalyste a un savoir douteux, et sa position est donc celle de l'imposture, mais, en outre, il sait qu'il n'échappera pas à cette position par l'acquisition d'un savoir considérable, puisque c'est de toute façon à son savoir supposé que s'adresse le transfert."

Transfert auquel l'analyste n'échappe pas, même s'il sait que l'analyse n'est qu'un jeu de dupe :

"La singularité de l'enseignement de l'analyse, c'est de nous montrer qu'on n'échappe jamais à ce jeu de la duperie et de l'errance"

Clavreul ayant été le contrôleur de nombreux analystes, il est bien placé pour nous parler du transfert. Car si dans la relation analysant/analyste le transfert est une chose capitale, là aussi la théorisation en est différente chez les freudiens orthodoxes et chez les lacaniens se réclamant de Freud. Pour les analystes orthodoxes c'est à la liquidation du transfert que doit aboutir l'analyse, pour ceux qui ont suivi Lacan la finalité de l'analyse est la découverte de l'incomplétude du Sujet toujours divisé, -le fameux S barré-. Le transfert ne porte pas exclusivement sur la personne de l'analyste, mais sur son savoir supposé :

"Il y a eu une évolution considérable du concept de transfert. [...] à savoir le transfert comme lié à cette pure et simple répétition d'une situation infantile non réglée."

Cette conception du transfert et de la position qu'occupe l'analyste pendant la cure ne va pas bien sûr empêcher ce dernier de se manifester. Pour Clavreul, la qualité première de l'analyste est de reconnaître que son savoir est insuffisant, inconsistant et qu'il ne peut jamais être figé, voire dogmatique :

"Ce n'est pas avec son savoir qu'on dirige une cure analytique, c'est bien au contraire avec son aptitude à ne pas savoir, à ne pas comprendre trop vite, à déceler ce qui ne va pas, à faire apparaître cet "insu" dans lequel s'empêtre l'analysant, mais dans lequel l'analyste lui-même est empêtré."

En psychanalyse la théorie est toujours inachevée, en construction, lors de la cure le savoir est manquant, l'analyste ne sait pas où trouver l'articulation théorique qui lui fait défaut et lui permettrait de rendre compte du réel qu'il doit faire émerger. Une des qualités requises pour l'analyste est celle de pouvoir se laisser surprendre par le discours de l'analysant :

"Il faut comprendre que ce n'est pas avec son savoir que le psychanalyste va pouvoir conduire une cure. Du savoir, il faut qu'il en ait, bien sûr, et le plus possible. Mais ce n'est pas ça qui va être opérant. Ce qui va être opérant, c'est l'aptitude de l'analyste à accepter ce qui viendra le bouleverser."

Le contre-transfert fera donc son œuvre, que l'analyste le veuille ou non et ce contre-transfert l'impliquera dans le discours de son analysant. Bien qu’il essaie toujours de faire passer le discours de l’analysant sous sa propre férule, l’analyste n’échappe pas au contre-transfert. Essayer de vouloir que les choses se déroulent autrement c'est courir vers l’échec et transformer l’analyse en thérapie de soutien. D’où les analyses au long cours qui durent parfois un nombre d’années à deux chiffres. Si Lacan a pu dire que la position de l’analyste est une position intenable, ce n’est pas seulement parce que son savoir est toujours supposé, mais également par le prix qu’il en paie dans le contre-transfert ; par son implication obligée dans la relation. S’il n’y a pas d’analyse sans transfert, il n’y en a pas sans contre-transfert.  Bien sûr il est plus aisé pour l’analyste de naviguer en vitesse de croisière, mais il n’est pas toujours le maître du navire et il arrive souvent que ces analystes :

"...se réfugient très vite, dans leurs cures, soit dans un silence obstiné, soit dans des interprétations "bateau", ou n'importe qui reconnaît un certain nombre de "slogans" dont ils se contentent le plus souvent." Et très vite, ce genre d'analyste : "... fonctionne d'une façon sectaire et refuse pour son analysant qu'il aille regarder ce qui se passe ailleurs."

Clavreul sait et n'oublie pas que l'analyste est engagé dans le processus désirant de son analysant. Pour lui il est indispensable que l'analyste, non seulement ait parcouru le chemin de l'analyse, mais encore faut-il qu'il ait décelé en lui l'existence de mécanismes pervers :

"Je tiens pour assuré que le psychanalyste qui n'a pas repéré chez lui-même l'existence de mécanisme de type pervers ou psychotique n'est pas vraiment digne d'exercer la psychanalyse."

L’auteur de L’Homme qui marche sous la pluie n'a rien du prêtre psalmodiant le dogme freudien ou de l'aficionado inconditionnel de Lacan. La psychanalyse ne marche pas toujours avec tout le monde, il le sait, il l'écrit :

"On peut avoir été pendant plusieurs années sur un divan sans qu'aucun travail analytique n'ai été seulement ébauché."

Mais, comme il le remarque, il y a pire :

"....il faut bien le dire, il y a un nombre extrêmement important de gens pour lesquels on a fait un contrôle qui a duré cinq ans, six ans, où l'on n’a pu se convaincre véritablement que d'une chose, c'est que cette personne ne comprenait rien, et ne comprendra vraisemblablement jamais rien, à quoi que ce soit de ce qu'est la psychanalyse."

Ce qui n'exclut pas que :

"Il est de fait qu'un très important travail analytique peut se faire en quelques séances " [...] " Il m'est arrivé de voir des gens trois ou quatre fois, et de véritablement considérer qu'il y avait eu là, effectivement un travail analytique, repérable à beaucoup de choses."

Il est difficile de parler de la psychanalyse, même pour un analyste expérimenté, plus difficile encore de rendre compte d'un écrit analytique et de sa valeur. La psychanalyse a un discours qui lui est propre : le discours du psychanalyste. La psychanalyse n'est pas transmissible par les voies ordinaires de l'enseignement classique. C'est sa hantise et son interrogation depuis qu'une jeune fille viennoise s'est allongée sur le divan de Freud. Ce savoir n'est pas véritablement scientifique, il n'est pas reproductible, même si les ouvrages consacrés à la psychanalyse sont nombreux, ils ne suffiront jamais à former un psychanalyste, comme le souligne Jean Clavreul à plusieurs reprises dans son ouvrage, la formation la plus performante de l'analyste reste sa propre analyse. Ce savoir n'est pas universitaire, il n'est pas constitué :

"Mais si louable qu'en soit l'intention, c'est là méconnaitre ce qui constitue une dimension essentielle de la psychanalyse, pourtant énoncée par Freud dès le début : que la psychanalyse ne saurait être identifiée à un savoir constitué, transmissible par les livres ou par toute autre méthode relevant de ce que pratique l'Université. Lacan en a dit davantage sur ce point, en faisant l'analyse de ce qu'il appelle le "discours universitaire", dont l'agent est le savoir constitué."

Clavreul en profite, avec raison, pour égratigner au passage quelques psychanalystes :

"A vrai dire les psychanalystes sont même là victimes d'un leurre qu'ils proposent eux-mêmes, à savoir l'idée que, quand on a fait une psychanalyse de façon suffisamment complète, il n'y a aucune raison pour qu'on ne fonctionne pas convenablement. Cela est entièrement faux. Et nous avons quotidiennement la preuve que certaines personnes, qui se prétendent psychanalystes, accaparent le pouvoir sur le plan institutionnel, et maintenant dans la presse, à la télévision, à la radio... " [...] "Il est tout à fait sûr, à l'heure actuelle que quelqu'un qui arrive à acquérir une bonne position dans les médias est beaucoup plus assuré de se faire une clientèle que quelqu'un qui a travaillé dur."

Plus sévère est sa critique pour ceux qui font subir des distorsions monstrueuses à la "chose freudienne" :

"Ces psychanalystes tellement certains de la supériorité et même de l'infaillibilité du dogme ne reculent devant aucune compromission avec des pratiques de toutes sortes, qui n'ont absolument plus rien à voir avec la psychanalyse. C'est ainsi que la psychanalyse est présentée, en toutes circonstances, comme le secours apporté par les équipes d'urgence "psy" auprès des victimes d'accidents graves." [...] " C'est ainsi qu'il y a des psychanalystes-pédagogues, des psychanalystes-médecins, des psychanalystes-juristes, etc. persuadés sans doute qu'avec un zeste de psychanalyse ils vont renouveler la discipline dont ils sont issus. Il y a mieux, pour le folklore, des psychanalystes-politologues ! Tous ont ceci en commun de  savoir se couler dans le discours dominant de leur discipline, en y ajoutant des interprétations persécutives à l'encontre de ceux qui font figure de déviants et de francs-tireurs. Au moins contribuent-ils ainsi au discrédit de la psychanalyse."

                                                                                        *

Il a paru souhaitable au cours de cette Marche sous la pluie de citer de larges extraits de l'ouvrage. La raison en est simple : le texte de Jean Clavreul est si riche en lui-même et ses paroles tellement criantes de vérité que tout commentaire semble superflu, particulièrement dans la critique de la psychanalyse, de ses institutions. Ce qu’il peut en être dit d’autre, c'est que l'auteur a un côté pédagogique indéniable pour accrocher les formules lacaniennes à la théorie freudienne :

"Dans son étude intitulée "Principe de plaisir et principe de réalité", il disait [Freud] que l'accès au principe de réalité passe par l'éloignement de la recherche du plaisir immédiat. C'est l'annonce d'un "plus de jouir" pour l'avenir qui promet le renoncement au plaisir"
Lacan est épargné par Clavreul, qui se contente de deux ou trois piques à son encontre :


"Quant à Lacan, il n'acceptait pas de se soumettre aux règles formelles [...] Et il est allé jusqu'au bout, jusqu'à ces séances ridicules, inacceptables, d'une minute ou deux, c'est-à-dire des séances nulles"

Ces séances ridicules sont beaucoup plus que ridicules, elles ont contribué à la dégradation de l’image de la psychanalyse dans le public. En effet, avec l’introduction de la séance courte ou écourtée le contrat liant l’analyste à l’analysant est largement écorné. L’analysant ne choisit pas le lieu des séances et il ne choisit généralement pas non plus le jour et l’heure de ces dernières. Si aucun arrangement horaire n’a pu se trouver, il se plie aux rendez-vous de l’analyste. La durée de la séance est la seule chose due à l’analysant dans le contrat analytique. Cette pratique de la séance courte a changé la substance et le peu de subversion que la psychanalyse portait en elle. En décidant la fin de la séance sans tenir compte du temps conventionnel imparti -généralement trois quarts d’heure-  l’analyste ne détient plus un savoir supposé, mais un savoir médical ; il sait quand la séance doit être arrêtée. C’est lui qui décide de la « scansion. » Ce faisant il quitte sa neutralité pour endosser la blouse du médecin, de celui qui décide de la fin de la consultation, bref, de celui qui sait. Et pourquoi pas de Dieu ? Car le temps n’appartient qu’à Dieu, à cet effet l’Église a interdit jadis le prêt à usure.
Il a été avancé, par les analystes qui pratiquent  couramment la scansion, qu’elle joue un rôle important dans le déroulement de la séance. Elle aurait, disent-ils, une visée précise. Elle ne doit pas être réalisée à n’importe quel moment, mais de manière bien appropriée dans le tempo du dire de l’analysant, de façon à produire un effet notable. À supposer que l’intervention qui donne lieu à cette coupure soit importante, rien n’empêche l’analyste de poursuivre la séance normalement et de faire retour sur le moment clé, à la fin de la séance. Ce que continuent d’ailleurs à faire de très nombreux analystes qui n’adhèrent pas à cette pratique. Au reste, quelques minutes d’entretien constituent une préséance et pas une séance. En acceptant ces séances écourtées les lacaniens ont montré au monde jusqu’où peut aller la soumission stupide à un maître. Il convient de noter que les gens qui étaient en analyse chez Lacan, attendaient parfois des heures avant que n’arrive leur tour, qui durait quelques minutes, parfois quelques secondes (Gérard Haddad, Le jour où Lacan m’a adopté, éd. Grasset). Il faut une bonne dose de masochisme pour accepter pareilles conditions à une analyse qui chez Lacan n’était pas onéreuse, mais simplement ruineuse. Mais faire une analyse chez Lacan était aussi un placement financier, une future clientèle assurée par le simple prestige qu’assurait une analyse avec le maître. Que cette méthode pour le moins suspecte soit devenue avec le temps une technique psychanalytique n’arrange pas l’image que le grand public se fait de la psychanalyse.

***

L'ordre Médical

Il est assez rare que je relise entièrement un essai, d'ordinaire je me contente des passages que j'ai surlignés. Ce ne fut pas le cas avec l'ouvrage de Jean Clavreul, L'ordre médical, éd. Du Seuil. En se basant sur les travaux de Foucault (La naissance de la clinique) et de Canguilhem (Le normal et le pathologique) éd. PUF, l'auteur "démonte" le discours médical, depuis son acte de naissance jusqu'à l'aboutissement du Conseil de l'Ordre et des progrès accomplis dans l'investigation.
Jean Clavreul est mort dans l'année 2006 il n'a pas été un auteur prolifique, il a très peu publié et c'est bien dommage. Un lacanien lisible et de plume agréable, c'est assez rare pour être signalé.
L'auteur démontre dans son essai que le discours médical est inattaquable, car il se constitue de lui-même et se fonde à partir de la propre demande du malade. Ce dernier d'ailleurs n'est jamais qu'un outil à l'usage du discours médical qui ne lira pas une plainte dans la souffrance du malade, mais un signe renvoyant à un symptôme répertorié, classé, archivé. L'être de la maladie n'existe pas pour la médecine, le malade est le siège de cette maladie où peut s'exercer une sémiologie particulière, celle de la clinique.
La médecine ne peut être prise pour cible par aucun autre discours, fut-il contestataire ; elle est inattaquable du point de vue philosophique ou critique : elle est la quintessence même de l'humanisme !
Elle œuvre au bien de l'humanité en associant science, technologie et justement cet humanisme. C'est imparable. L'ouvrage de Clavreul est peut-être trop riche pour être commenté, trop riche également pour un donner quelques extraits. La médecine règne en maître sur le monde moderne, les prêtres, les philosophes, les politiques recourent à son langage en usant de métaphore : "le pays est malade". Le peuple, comme le malade n'est plus en état de se diriger lui-même, il lui faut un médecin à qui il doit faire "confiance".
Quelques paragraphes sont consacrés aux rapports entre psychanalyse et médecine, et Clavreul revient sur la psychanalyse laïque ou profane (analyses pratiquées par des non médecins) il note que justement, quelque chose est profané, or, on ne profane que le sacré et ce sacré, c'est l'Ordre Médical.

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