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Il n’y avait jusqu’à présent sur causepsy qu’une courte  fiche de lecture d’un ouvrage d’ Élisabeth Roudinesco (reproduite ci-dessous.) Il n’y avait pas de page qui lui était consacrée. Cela est dû au fait que, depuis que le site a été créé, je n’avais pas relu ses principales œuvres, notamment sa monumentale Histoire de la psychanalyse en deux volumes (éditions Fayard) ni sa superbe biographie de Jacques Lacan (éditions Fayard). Ce manque est aujourd’hui comblé avec la parution de son imposante biographie de Freud aux éditions du Seuil.



Sigmund Freud
En son temps et dans le nôtre
(Prix Décembre 2014) éd. du Seuil

L’ouvrage commence par l’enfance de Freud, l’accent est mis sur son environnement familial avec force détails, de l’origine à l’adolescence. Il se poursuit avec  les débuts de chercheur sur les anguilles et les propriétés anesthésiantes de la  cocaïne pour déboucher sur l’échange de délires avec Fleiss.
Une biographie connue et cent fois écrite. Qu’apporte donc cette nouvelle publication d’Élisabeth Roudinesco ? Tout ! Car les précédents travaux étaient soit apologétiques soit calomnieux. Le lecteur curieux avait le choix entre un Freud saint et thaumaturge ou un Freud usurpateur lubrique et paranoïaque. Certes, Freud était fou, il n’en a pas moins mis au point la psychanalyse. C’est la force d’Élisabeth Roudinesco d’avoir produit un travail fouillé qui tend vers l’objectivité, autant que peut le permettre un travail de biographe. Mais l’historienne n’en est pas à son coup d’essai, le premier, sa biographie sans concessions de Jacques Lacan, était déjà un coup de maître et celle de Freud est dans la même veine, elle ne déçoit pas. Nous sommes loin dans cet écrit de l’hagiographie sans esprit critique. L’ouvrage n’occulte aucune des dimensions troubles de l’inventeur de la méthode cathartique, mais elles n’en sont pas non plus le but. Rien de l’aspect négatif du personnage n’est laissé dans l’ombre, ni la folie personnelle de Freud ni ses folies à deux dont  Fleiss fut le premier partenaire. Rien de la relation démente qui s’est étendue entre les deux hommes pendant plusieurs années n’est dissimulé, ni les échecs lamentables comme celui d’Emma Eckstein, ni les délires homosexuels narcissiques :

« ...Ils en vinrent à se regarder comme des frères jumeaux  et à se faire photographier avec la même barbe, le même vêtement, affichant le même regard : ils distribuèrent ce portrait à leurs amis. » (p.75)

Freud d’ailleurs rechercha tout au long de sa vie cette folie à deux,  toute son existence se déroulera à chercher et à trouver des partenaires idéalisés qu’il pourra aimer dans un premier temps et étriper par la suite. Ce fut une dimension importante de sa vie. Dans sa recherche de folie à deux Freud trouvera toujours le partenaire idéal. Si la première aventure avec Fleiss fut certainement la plus jouissive, les autres ne manqueront pas de sel. Chaque disciple sera tour à tour l’autre semblable que Freud aimera et deviendra à plus ou moins long terme l’autre haïssable, que Freud poursuivra de ses vindictes jusqu’à la mort. Chaque disciple est un dissident en puissance qu’il importe de vouer aux gémonies. La méthode est simple , facile et efficace : il est fou ! Chaque dissident est un fou. Et c’était vrai. Une grande partie des disciples sortait des divans de Freud ou des premiers analystes, avant de s’installer eux-mêmes comme analystes. Une fois analystes, ils retournaient sur le divan du maître, car ils allaient toujours aussi mal ou bien ils se suicidaient, l’éventail n’était pas très large.

La biographie continue avec le long épisode avec Breuer et la naissance de la psychanalyse, dont les origines ne sont pas aussi mystérieuses que les hagiographes veulent nous le faire croire... ou beaucoup plus ! Ces origines ont une source on ne peut plus religieuse, peut-être est-ce cela que l’inquiétante étrangeté :

« Ainsi renouait-il, sans y avoir songé, non seulement avec l’héritage de Messmer, mais surtout, de manière beaucoup plus lointaine, avec le grand principe de la confession hérité de la Contre-Réforme et surtout du concile de Trente qui avait fait de l’aveu un sacrement, un exercice intime sans contact visuel ou physique entre le confesseur et le pénitent. » (p.95)

Et de rajouter en note de bas de page, que cette pratique de la confession a partie liée avec l’invention freudienne...  On observera toutefois que la pratique de la confession revient beaucoup moins cher au « patient ».

É. Roudinesco décrit très bien les mœurs de la Vienne de la fin du dix-neuvième siècle qui était plus une fabrique de fous et d’hystériques qu’une ville d’art, ce qu’elle était aussi, tout de même. Mais l’Europe entière était folle et la Suisse, bien que neutre depuis 1815, n’était pas épargnée. La folie, dans ces joyeuses montagnes était d’inspiration calviniste (p.162). C’est avec Carl Gustav Jung que Freud vivra sa deuxième grande rupture amoureuse. Jung venait de la célèbre clinique du Burghölzli aux environs de Zurich ou personne ne buvait une goutte d’alcool (p.162) Freud et Ferenczi le poussèrent à rompre son serment lors du fameux voyage aux USA :

« Poussé par Freud et Ferenczi Jung se décida à rompre son serment d’abstinence et il but du vin pour la première fois depuis neuf ans. » (p.192)

Ils burent et mangèrent ensemble et bien sûr se livrèrent au jeu favori des psychanalystes : faire des interprétations sauvages sur son vis-à-vis, ce qui bien entendu n’est pas toujours plaisant, surtout quand on est peu ivre.(p.192.) Très tôt  Jung avait acquis des connaissances intuitives sur la folie :

« ...une connaissance intuitive de la folie au sein de sa propre famille, et notamment auprès de sa mère, Émilie Preiswerk, qui s’adonnait devant lui au spiritisme, en compagnie de son propre père, un pasteur illuminé, de ses frères et de ses nièces. » (p.164)

Jung épousa une femme richissime et vécut sur son dos, il l’engrossa souvent, la trompait régulièrement, la prit en analyse et elle devint sa disciple. Freud, lui, avait bien pris sa propre fille en analyse ! Cependant si la folie de Freud et celle de Fleiss avaient des points communs, celles de Freud et de Jung divergeaient énormément. Bien qu’il se soit toujours intéressé à l’occulte, Freud était matérialiste, pas Jung. Tout comme leur folies mutuelles, leurs raisons et leurs conceptions philosophiques divergeaient :

« Alors que Freud réinterprétait les mythes à la lumière de la psychanalyse, Jung voyait dans les mythologies l’expression d’un inconscient archaïque propre à chaque peuple et donnant naissance à des types psychologiques. Les deux thèses étaient incompatibles. » (p.186)

Un aspect peu connu de l’Europe de cette deuxième partie du dix-neuvième siècle est abordé par Élisabeth Roudinesco : la répression sexuelle.  Cinq ou six pages traitent du sujet,  (pages 100 et suivantes)  sans donner trop de détails et sans en faire une analyse approfondie. C’est pourtant cette répression sexuelle qui amenait à Freud ses patients. C’est même cet aspect de la seconde moitié du dix-neuvième siècle qui fournit le terreau sur lequel la psychanalyse allait fructifier, voire qui la fit naître. É. Roudinesco nous fait savoir (p. 78) qu’Emma Eckstein, la première femme qui deviendra psychanalyste, avait dans son enfance subit une excision « thérapeutique » afin de la guérir de sa masturbation.
Certes, cette période cruciale de l’histoire est bien celle de la répression sexuelle. Les ouvrages fleurissaient sur les dangers de l’onanisme, le plus célèbre étant celui d’Auguste Tissot -L'onanisme et l'Avis au peuple sur sa santé-. « Auguste Tissot naquit à Grancy, dans le pays de Vaud le 20 mars 1728, il fut élevé à Isle, village voisin, par son oncle, le pasteur Tissot, étudia la médecine à Montpellier où il fut reçu docteur le 18 avril 1749, puis vint s’établir à Lausanne. »  (La vie dans le pays de Vaud à la fin du XVIIIᵉ siècle, ouvrage collectif).
En 1760 le pasteur Dutoit-Membrini, publie -L’Onanisme ou Discours philosophique et moral sur la luxure artificielle et sur tous les crimes relatifs-
Or, ces publications qui connurent un grand succès ne sont pas du 19ᵉ mais du 18ᵉ siècle et elles sont généralement le fruit de puritains protestants.Les instruments de contention afin d’empêcher l’ouvrage solitaire s’utilisaient déjà en 1815. Mais en quelles proportions ? Même si É. Roudinesco donne, dans son Dictionnaire de la psychanalyse une courte biographie du père du célèbre Président Scherber,  Daniel Gottlieb Moritz Scherber, qui diffusa des brochures sur des théories éducatives d’une extrême rigidité sur l’hygiénisme, il fut aussi l’inventeur de beaucoup d’appareils de coercition pour enfants, tant pour se tenir bien droit que pour éviter la masturbation. Scherber appartenait également à une famille protestante.
Les termes d’É. Roudinesco, qui emploie un vocabulaire dramaturgique, sont pour le moins ambigus :

« C’est ainsi que la grande furia chirurgicale qui déferla sur l’Europe de 1850 à 1890 frappait autant l’enfant masturbateur que la femme hystérique. » (p.103)

On ne conteste pas les faits : la chirurgie s’occupant de la masturbation. Mais une grande furia laisse entendre des armées de chirurgiens prêtes à exciser des millions de clitoris C’est pourquoi on peut se demander si ce n’est pas sur la bourgeoisie de l’Europe du Nord qu’ont fondu les coupeurs et brûleurs de boutons roses, et ce, pour deux raisons : la première tient à un simple constat financier, les pauvres ne voyaient en général  le médecin qu’au moment de mourir, quand ils le voyaient . Un acte, médical ou chirurgical, n’était pas à la portée des ouvriers des faubourgs où, comme le note Michel Foucault,  l’inceste était fréquent. Les soucis afférents à la masturbation de leurs progénitures n’était certainement pas le souci prioritaire des ouvriers, d’autant que les PMI et autres dispensaires devaient être plutôt rares pour des interventions d’envergures. En ce qui concerne les campagnes, nul besoin de description.
Mais ce qu’il faut peut-être retenir dans une deuxième approche ressemble étrangement  à ce qu’écrivait l’historien Lucien Febvre, dans ce qu’il a considéré comme la grande révolution psychologique : entre 1590 et 1620, la sorcellerie semble partager deux Europes : le Nord où elle prolifère et le Sud, où elle est rare. Peut-être les mentalités et les structures religieuses sont-elles à prendre en compte ? Certes les catholiques, surtout dans leurs institutions, n’ont pas dû se priver de chasser le mal d’Onan, mais ce mal leur a toujours procuré certains bénéfices. En tout état de cause, si ce type d’intervention semble se limiter à une certaine bourgeoisie nordique puritaine, le nombre de victimes de cette répression ne doit pas être bien élevé en pourcentage de population. Les chiffres font défaut, c’est dommage.

On trouve tout au long de l’ouvrage de très belles formules, bien enroulées qui résument en quelques phrases des déroulements historiques, notamment au sujet de la psychanalyse en Amérique :

« En fait les américains reçurent triomphalement la psychanalyse pour ce qu’elle n’était pas –une thérapie du bonheur- et ils la rejetèrent soixante ans plus tard parce qu’elle n’avait pas tenu la promesse qu’elle ne pouvait pas tenir. » (p.202)

À propos de la guerre, les détails de la petite histoire qui font l’Histoire, on y apprend page 217 que :

« Partout les professeurs d’université renvoyaient leur diplômes honoris causa à leurs amis devenus des ennemis. »

Aucun détail n’est oublié dans cette monumentale biographie le « fort-da » y est raconté avec l’identité des personnes (un petit fils de Freud) (p.276). Vers les pages 240/250 une histoire assez complète de l’Homme aux loups est rapportée, cette histoire qui rentre dans les détails est assez différente de celle racontée et schématisée  par les anti-freudiens. D’ailleurs É. Roudinesco tacle très peu les anti-freudiens. Tout au long de l’ouvrage elle se contente de rectifier leurs propos, très souvent calomnieux. Ainsi  Mikkel Borch-Jacobsen, dans son ouvrage « Les patients de Freud » attribue la responsabilité de l’échec du traitement de Karl Mayreder au seul Freud, Roudinesco rectifie le tir en soulignant que Mayreder avait consulté 59 médecins et qu’aucun n’avait réussi à le débarrasser de sa mélancolie chronique.  Pour Freud, le problème principal de Mayreder était sa femme. Il se livra à des interprétations tendant à en faire la seule responsable de son état. Cependant, s’il ne réussit pas à soigner son patient, Freud avait peut-être raison car ni M.B-Jacobsen ni É. Roudinesco ne prennent en compte dans la mélancolie de  Mayreder,  le fait que son épouse était une militante féministe très active, ce qui, dans un couple, n’est pas signe d’une parfaite sérénité et harmonie.  Le plus gros de l’ouragan éditorial qui s’est abattu sur Freud ces dernières années étant passé, c’est souvent dans des notes de bas de page qu’ É. Roudinesco remet les pendules à l’heure avec les anti-freudiens. Page 337, à propos du suicide d’un psychiatre américain, Monroe Meyer, que Freud avait eu en cure, on peut lire :

« Freud sera accusé par les anti-freudiens d’avoir causé cette mort volontaire qui intervint dix-huit ans après le séjour de Monroe à Vienne. »

M. Onfray, lui, est taclé durement et avec raison. À propos du fameux avortement de Minna (la belle sœur de Freud) enceinte, soi-disant des œuvres de ce dernier, É. Roudinesco nous apprend  :

« Celui-ci [Onfray] va jusqu’à affirmer que Freud obligea Minna à avorter d’un enfant de lui en 1923, oubliant qu’à cette date elle avait...cinquante huit ans. » (p.297)

Il ne faudrait cependant pas croire que l’ouvrage est une réplique aux attaques de masse qu’a subi le freudisme ces vingt dernières années. Seules quelques notes y sont consacrées ça et là, lorsque le sujet apparaît dans la vie de Freud.

Sans être un ouvrage d’histoire de la psychanalyse, les différents conflits qui la traversèrent sont abordés et pas seulement les conflits nombreux que Freud eut avec ses disciples dissidents, mais également les conflits que traversèrent divers courants dans le milieu psychanalytique , quand ce milieu se fut élargi au monde entier. C’est ainsi que le conflit Anna Freud - Mélanie Klein, « arbitré » par Jones est également relaté dans les détails.
L’ouvrage apporte également quelques éclaircissements sur des proclamations qu’aurait faites Freud, notamment sa fameuse déclaration écrite en Juin 1938 lorsqu’il quitta l’Autriche : « Je puis cordialement recommander la gestapo à tous. » Cette phrase, se voulant ironique, fut abondamment commentée par les historiens de la psychanalyse, elle est remise en cause depuis 2002 et n’aurait semble-t-il pas été écrite.

Freud mauvais politicien, souffrait d’un aveuglement intégral à la vie politique, ne croyant pas au danger du fascisme pour l’Autriche :

« Il n’est pas certain que le régime hitlérien s’empare aussi de l’Autriche... » Lettre à Jones, 2 avril 1933. (p.443)

Comment quelqu’un qui fonda une science de l’inconscient a-t-il pu être aussi aveugle à ce qui se préparait ? Il est vrai qu’en cinq ans les choses changent. Et on voit Freud changer, vivre, regretter, aimer, inventer et souffrir tout au long de ces presque 600 pages d’érudition. On découvre Freud chez lui, en sa demeure à Vienne, entouré de « ses » femmes, de ses chiens, des antiquités qu’il collectionnait. Freud « découvrit » l’inconscient et inventa la psychanalyse, É. Roudinesco nous fait découvrir Freud en son temps et dans le nôtre. Certes, il doit bien y avoir des aspects passés sous silence qui m’ont échappé, des détails inconnus aux communs des mortels et connus des spécialistes – qui peuvent aussi se tromper ou ignorer- certaines choses. Le travail semble honnête, fini et intelligent. La lecture est un plaisir, comme pour la majorité des ouvrages de cette remarquable historienne de la psychanalyse. Ce « Freud » ne sera peut-être pas retenu comme son ouvrage majeur, car le sujet, célèbre  et historique, est traité par de nombreux auteurs, il restera un incontournable pour qui s’intéresse au sujet freudien et à... Freud.
(Février 2015)
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Pourquoi tant de haine ?

Décevant. C’est le seul mot qui s’applique au livre d’Elisabeth Roudinesco, « Pourquoi tant de haine ? », éd. Navarin éditeur. L’ouvrage porte en sous-titre : « Anatomie du livre noir de la psychanalyse ».

Pourquoi tant de déception pour un brûlot de quelques pages ? Parce que Madame Roudinesco est une grande dame de la psychanalyse, qui nous a habitués à d’autres ouvrages qu’une réaction épidermique produite à vif. Elisabeth Roudinesco est l’auteur d’une monumentale « Histoire de la psychanalyse en France » (2 volumes) et d’une biographie sans complaisance de Jacques Lacan (éd. Fayard.) qui sont loin d’être de la petite bière ! Et qui s’avère d’une lecture indispensable à qui s’intéresse un tant soit peu au sujet.
Cet ouvrage est d’autant plus regrettable, que la plume même de l’auteur y perd de sa verve habituelle, de son acuité, pour devenir une écriture sans relief, contrairement à ses autres ouvrages dans lesquels l’écriture était enlevée et haute en couleurs !
(Janvier 2006)
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La légende noire de Jacques Lacan

 

L’auteur de l’ouvrage, Nathalie Jaudel,  qui publie aux éditions Navarin «La légende noire de Jacques Lacan», est avocate de formation.  Mais c’est la robe de procureur qu’elle enfile pour s’attaquer à É. Roudinesco, auteur de la seule biographie de Lacan existant à ce jour.
Selon elle, É. Roudinesco serait juge et partie dans sa biographie, «Jacques Lacan, Histoire  d’une vie, histoire d’un système de pensée», éd. Fayard, (1993) ce qui est indéniablement vrai.
N. Jaudel reproche à E. Roudinesco de délaisser les références historiques réelles pour privilégier la forme romancée, en prêtant à Lacan des pensées qu’il n’aurait pas eues, des mots qu’il n’aurait pas écrits ou prononcés.
Fort bien, le travail de N. Jaudel est solide et l’on peut alors s’interroger sur l’objectivité de Mme Roudinesco et  sur son parti pris. Mais de toutes les biographies de personnages historiques que j’ai lues jusqu’à ce jour, aucune n’échappe à cette forme de la vie romancée. Le principal reproche que fait N. Jaudel  à Roudinesco est celui de ne pas explorer suffisamment les travaux des dernières années du psychanalyste hors du commun que fut J. Lacan. Elle insiste notamment, pages 72 et 73 sur la critique que fait E. Roudinesco sur la séance courte, invention de Lacan qui fit couler beaucoup d’encre. Mais il semble difficile d’écrire la biographie d’un théoricien sans donner une opinion sur la théorie même qu’il a développée en la situant dans un contexte historique et idéologique. Les inventions lacaniennes ne sont pas des axiomes intouchables et chacun a le droit d’en avoir une opinion, surtout si cette invention est largement contestée dans le public averti. On a l’impression, tout au long de l’ouvrage de N. Jaudel, d’assister à un travail de déconstruction de la biographie de Roudinesco et que cette déconstruction tend vers une réhabilitation de J. Lacan, mais cette démonstration prend vite la forme d’une hagiographie.
Hélas le travail de N. Jaudel ne laisse pas une impression d’objectivité, mais dégage un parfum de vengeance, de « vendetta » entre écoles et lectures différentes de la chose freudienne.
Que le travail colossal d’E. Roudinesco ait quelques faiblesses et quelques apories est facile à admettre, qu’on réduise ce travail à des ambitions personnelles saupoudrées de malveillances volontaires est autre chose. Surtout qu’en plus de 300 pages N. Jaudel  aurait peu écrire sa propre biographie de Lacan ! Le lecteur reste dans l’attente...  en se demandant s’il s’agit là de transfert, de bataille de clans ou dans le pire des cas, de crêpage de chignon...
(Mars 2015)
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